19:30 Eglise de Saanen
R. Schumann
Concerto pour violoncelle en la mineur, op. 129
L. van Beethoven
Symphonie n° 3 en mi bémol majeur, op. 55 « Eroica »
R. Schumann
Concerto pour violoncelle en la mineur, op. 129
L. van Beethoven
Symphonie n° 3 en mi bémol majeur, op. 55 « Eroica »
Schumann: Concerto pour violoncelle en la mineur, op. 129
Quand Schumann s’installe à Düsseldorf en 1850 pour y occuper le glorieux poste de directeur de la musique, sait-il qu’il s’apprête à plonger dans un chaos qui lui coûtera la vie ; en 1856 ? Le présent Concerto, pourtant conçu dans la ville rhénane après son arrivée, précède la tragédie annoncée. Dans l’effervescence des premières répétitions, l’artiste trouve l’espace pour produire en deux semaines cette pièce hautement créative, à une époque où le violoncelle ne se mesure guère à l’orchestre seul. On se souvient ici que Schumann apprit enfant à manier ce noble instrument – auquel il pensa même revenir après avoir abîmé ses mains avec un dispositif absurde de son invention, supposé augmenter sa virtuosité au piano.
Résolument chambriste, cette partition dégage une connaissance intime du violoncelle. Au point que ses tempi charnels, comme dilués, déroutèrent nombre d’interprètes. Quant aux habituels morceaux de bravoure, ils sont mis de côté au profit de la force lyrique, de la charge de mystère. L’Allegro inaugure une atmosphère. Le chant du violoncelle s’élève en volutes, qui infiltrent le paysage de l’orchestre – avant de se dissiper à tire-d’aile. Nous voici à la croisée des chemins : entre le classicisme mozartien des élans collectifs, une scansion râpeuse évoquant la Chaconne d’un Bach fondateur, et la rare indétermination du décor, annonciatrice du dernier Berlioz et de Strauss, c’est comme si Schumann avait fusionné passé, présent, et futur. Avec ses doubles cordes, ses allures de polyphonie, ou de canon, la romance du deuxième mouvement mue l’orchestre en caisse de résonnance d’un soliste magnifié. Les motifs en quinte descendante sont-ils des hommages aux cinq lettres du prénom de Clara ? Il est doux de le croire. Le Vivace porte bien son nom : d’un entrain communicatif, il fait entrer dans la forêt des songes un défilé chevaleresque. Entièrement écrite par l’auteur, la cadenza terminale résiste elle aussi à l’étalage de virtuosité. Est-ce en raison de son apparente simplicité que cette œuvre ne fut pas créée du vivant de Schumann, et mise à l’écart pendant des décennies ? Elle posa pourtant, l’air de rien, et avec une grâce inouïe, les jalons du concerto romantique pour violoncelle.
Beethoven : Symphonie n° 3 en mi bémol majeur, op. 55 « Eroica »
Autre monument annonciateur, de tout le romantisme musical cette fois. Au Panthéon de « la musique symphonique » selon Leonard Bernstein, cette pièce fut aussi l’une des favorites de Beethoven lui-même. Son écriture débute à l’été 1803, moment déterminant pour le destin européen, et pour celui du créateur. Du côté de la France, Bonaparte passe encore aux yeux de Beethoven pour un génie militaire sans égal, défendant partout les idéaux de la Révolution. L’œuvre lui est d’abord dédiée. C’est en outre à la même période que le musicien affronte les prémices de sa légendaire surdité. Daté de 1802, le Testament de Heiligenstadt inaugure une lutte sans merci entre désespoir et foi. Ainsi pourra-t-on écouter cette Symphonie à l’aune de trois prismes : la grande histoire politique, la « petite » histoire du corps, et l’histoire musicale.
L’Allegro d’ouverture, d’une durée inédite (la partition dans sa totalité est deux fois plus longue que la plupart des symphonies classiques), est une vitrine de la palette beethovenienne. Du solennel à l’exalté, de l’épure à la densité, maniant le contrepoint et les syncopes, c’est un langage harmonique, mélodique et orchestral d’un type nouveau qui se déploie. John Sullivan, spécialiste britannique du compositeur, voulut voir dans l’énergie titanesque de ce mouvement un symbole de vaillance face à la surdité. La Marche funèbre qui lui succède fut jouée lors des obsèques des présidents Roosevelt ou Kennedy. Aussi profond soit le deuil, il est avant tout héroïque. Et au cœur des enfers, à la faveur de tonalités majeures, pousse une clairière fleurie. Après tant de trouble, le Scherzo offre une promenade bienvenue, mais hautement vallonée, pleine de faconde. Il paraît dire : « Mort, pas encore ! » Loin de se contenter de conclure, le Finale nourrit jusqu’à l’ultime note ce tissu narratif, en s’arc-boutant sur une série de variations cinétiques, déliant cet art de la fugue si cher à Beethoven, jusqu’au vacarme – ou au triomphe suprême. La légende murmure qu’en 1804, outré par la décision autocratique de Napoléon de se sacrer empereur, le compositeur biffa d’une telle vigueur sa dédicace sur la page de titre qu’il brisa sa plume. Qui doute encore de la puissance de Beethoven ?