19:30 Eglise de Saanen
J.C. Bach
Symphonie n° 6 en sol majeur op. 3
W.A. Mozart
Concerto pour violon n° 3 en sol majeur KV 216
Symphonie n° 20 KV 133
Sous le patronage de
J.C. Bach
Symphonie n° 6 en sol majeur op. 3
W.A. Mozart
Concerto pour violon n° 3 en sol majeur KV 216
Symphonie n° 20 KV 133
Sous le patronage de
J.C. Bach
Symphonie n° 6 en sol majeur op. 3
Comment s’insurger contre son père lorsque ce père est un génie ? Si l’on entend au surplus pratiquer la même discipline que lui, on est pris au piège. Le dilemme ne dut guère être simple pour Johann Christian Bach, dix-huitième des vingt enfants de qui l’on sait, poussé avec plusieurs de ses frères vers la carrière musicale. Et pour marquer son autonomie, le marmot n’y alla pas de main morte : gagnant l’Italie à vingt ans, pays où aucun Bach ne s’était rendu avant lui, il y conçut trois opéras, genre qu’aucun Bach n’avait pratiqué, et pour décrocher le poste de second organiste de la cathédrale de Milan, abjura la tradition luthérienne, constitutive de sa famille, pour se convertir au catholicisme. Le mot punk n’était pas né : aux yeux du paternel, il aurait été adéquat. À tel point que celui-ci aurait pesté : « Mon Christian est un gamin fort sot, et c’est la raison pour laquelle il aura des succès dans le monde. »
La sentence était rude mais pas fausse : pendant deux décennies, le gamin fort sot fut un éminent rouage de la scène musicale et théâtrale londonienne, y gagnant le surnom de « Bach de Londres », ainsi que la protection de la Reine dont il devint le maître de musique, dirigeant quantité de concerts, livrant autant d’opéras qui rencontrèrent, de Mannheim à Paris, quelques triomphes. Johann ne niait pas sa soif de gloire, se faisant appeler John à Londres ou Giovanni à Milan, et déclarant : « Moi, je compose pour vivre. »En guise de réplique anticipée à ceux qui lui auraient reproché son défaut de profondeur. Cerise sur le gâteau : comme le souligne le musicologue Marc Vignal, « il fut le seul de ses frères à cultiver assidûment la galanterie, et à n’avoir jamais interprété une œuvre de son père ». L’œuvre du fils, en l’espèce, s’inspire fort de la tradition italienne, qui différenciait peu la symphonie de l’ouverture d’opéra, l’une et l’autre possédant usuellement trois mouvements, sur le mode vif-lent-vif. Ainsi de sa Symphonie n° 6, dont le voluptueux rococo enchante d’entrée, et dont le rutilant finale nous entraîne presque dans les coulisses… des Noces de Figaro.
Nous y voilà : si les voies du Seigneur restent impénétrables, ne peut-on pas dire que certains êtres viennent sur terre pour agir, d’autres pour révéler ? Car en 1764, John rencontra un certain Wolfgang âgé de huit ans, à qui il enseigna cinq mois durant la composition. Vignal note – avec un savoureux sens de l’inversion – que l’adulte « impressionna fortement et pour toujours l’enfant Mozart ». De fait, à l’écoute de cette tendre Symphonie, comment ne pas voir resurgir du fond de nos oreilles les airs éclatants et gais, le sourire obscurci soudain d’un orage passager, si typiques à certains divertimentos de Mozart ? Selon la légende, le décès du fils Bach n’apitoya que ses créanciers. La légende omet son ancien élève, qui s’émut en ces mots : « Bach n’est plus, quelle perte pour la musique ! » Le prodige de Salzbourg savait ce qu’il devait à l’art préclassique, si noble et abouti, de J.C. Bach. D’aucuns ajouteront : « Hélas, sans vrai génie… » Mais doit-on lui tenir grief de n’avoir été ni un second Bach, ni un autre Mozart ?
W.A. Mozart
Concerto pour violon n° 3 en sol majeur KV 216
Symphonie n° 20 KV 133
Même les vrais génies doivent tenir tête à leur père – ce qui conduit à penser que la rébellion et le génie sont peut-être deux phénomènes indépendants. Tel fut le sens de la lettre de Wolfgang à Leopold, lorsqu’il lui avoua en 1778 : Je ne réclame qu’une chose à Salzbourg, ne pas tenir le violon comme auparavant. C’est au piano que je veux diriger et accompagner les airs. Car en famille, tout est symbole : avec cette lettre, le jeune musicien n’affirme pas seulement son penchant pour le clavier. Il rejette l’instrument fétiche du père. Mais le présent Concerto (1775) date d’avant la cabrade du fils, qui élabore cette pièce à l’aune d’un style galant qu’une autre figure tutélaire – Johann Christian Bach – n’aurait pas reniée. Mais là où un certain baroque tardif visait les harmonies insouciantes et la prédominance du plaisir, on s’ébahira devant la créativité intarissable, et les abîmes de la partition de Mozart qui, entre deux rideaux de fleurs, combine tous les pôles, offrant dès l’ouverture au violon soliste un discours d’une expressivité aussi intense que minimaliste, digne de la Chaconne de… Jean-Sébastien Bach. La cantilène de l’Adagio perpétue ce mélange de grâce et d’inquiétude, cette apparente facilité de l’écriture mozartienne, qui fourmille en vérité de tours de magie. Même le Rondo, sous ses atours de danse villageoise, réserve d’inoubliables cavalcades au violon – décidemment indocile sous la plume de l’enfant précoce de Leopold.
Précoce, disons-nous : la moitié des symphonies de Mozart sont des œuvres de grande jeunesse. Celle qui clôt ce programme fut écrite par un artiste de seize ans et demi ; et transpire l’influence de Joseph Haydn, à qui son compatriote autrichien emprunte, dans l’Allegro final, quelques motifs de sa 41e. Rarement jouée, cette Symphonie n° 20 abonde pourtant d’idées et de fraîcheur : pensons, entre autres, à l’exquis chant de la flûte dans l’Andante. Tout le Mozart à venir est déjà contenu entre ces portées.