19:30 Eglise de Saanen
F. Schreker
Intermezzo pour orchestre à cordes op. 8
W.A. Mozart
Concerto pour piano n° 20 en ré mineur KV 466
L. van Beethoven
Symphonie n° 7 en la majeur op. 92
F. Schreker
Intermezzo pour orchestre à cordes op. 8
W.A. Mozart
Concerto pour piano n° 20 en ré mineur KV 466
L. van Beethoven
Symphonie n° 7 en la majeur op. 92
Schreker : Intermezzo pour orchestre à cordes op. 8
Ouvrant ce concert placé sous le signe de l’Autriche, une pièce vaste et sibylline de Franz Schreker (1878-1934), créée par un étudiant au Conservatoire de Vienne, mais comportant déjà la griffe de la sagesse. Comme épuisé, le romantisme s’est mué en impressionnisme nuiteux. La fable dégouline : on s’enfonce dans ses cavernes… De splendides paons blancs frôlent les nuages. Comme chez le peintre Friedrich, luit toujours une lumière à l’horizon.
Mozart : Concerto pour piano n° 20 en ré mineur
« Crétin, voyou ! » Nul ne sait si le prince Colloredo regretta ces insultes adressées à son employé en raison de son impertinence. En revanche, on peut imaginer qu’il se mordit les doigts d’avoir laissé filer un génie irremplaçable. Car la période viennoise de Mozart sera l’une des plus fertiles de sa carrière – et la plus couronnée de succès. Début 1785, date de l’écriture de cette pièce, Wolfgang a établi son renom. Il vient d’épouser Constance sans attendre le consentement de son père, provoquant sa rage. À vingt-neuf ans, l’artiste sent-il que le temps fuit ? Nombre de concerts étaient donnés pendant le carême, la représentation d’opéras s’avérant proscrite : c’est dans ce contexte que naît ce concerto, achevé la veille de sa première ! On n’aurait guère aimé être le copiste de Mozart… L’orchestre déchiffra à vue l’encre pas sèche du troisième mouvement, le prodige menant ses musiciens depuis son clavier, improvisant les cadences qu’il n’avait pu écrire, et que Beethoven qui vénérait cette partition, compléterait pour lui. Malgré cette hâte, le concert fut un triomphe et rassura Leopold, présent ce soir-là au Mehlgrube de Vienne. Pas loin de Haydn sans doute, qui adresserait bientôt au père cette lettre illustre : Je l’affirme devant Dieu, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse. On ne saurait mieux dire, à l’écoute de ce Concerto s’amorçant dans les brumes du Requiem à venir, en ré mineur comme lui, puis laissant une fièvre tout absorber. Prémices de la fureur de la Reine de la Nuit, ou du chœur diabolique de Don Giovanni ? Dès que le soliste arrive, à la mesure 77 de l’Allegro, s’instaure avec l’orchestre un conciliabule ininterrompu qui embrassera, de chants sublimes en doubles croches obsédantes, le spectre entier de l’humaine tragédie. Avec toujours, surtout dans la Romance, cette « nuance d’amitié fraternelle que Mozart laisse filtrer envers ses auditeurs », dans les mots si délicats de la musicologue Isabelle Werck. Après les ultimes notes de l’ultime mouvement, l’écrivain ne pourra que s’incliner devant la supériorité de l’art musical, qui permet de tout dire sans s’appesantir du moindre mot. Le XIXe siècle négligea l’œuvre de Wolfgang, mais pas ce premier concerto pour piano en mode mineur (il y en eut deux sur vingt-sept). Sa physionomie ardemment romantique y fut pour quelque chose.
Beethoven : Symphonie n° 7 en la majeur op. 92
« Un écrivain ne lit pas ses confrères, il les surveille ». Cette formule de Maurice Chapelan s’applique-t-elle cependant à la musique ? Car excepté la saillie du compositeur Carl-Maria von Weber, lequel jugea son confrère « mûr pour l’asile », toute la postérité encensera cette œuvre monumentale : de Schubert à Mahler, sans oublier Wagner (« Cette symphonie est la réalisation la plus bénie du mouvement du corps presque idéalement concentré dans le son ».) ni Berlioz. Mais comment aujourd’hui écouter cette pièce qui imprègne la culture populaire ? Choisissons trois axes. Le premier étant le goût, sinon la frénésie de Beethoven pour la grandeur : si les versions initiales des Symphonies n° 7 et 8 se destinaient à une formation réduite, le musicien rêvait d’un effectif plus ample que celui du symphonique de son temps. Convoquant les bois par paires, il y adjoint ici trois cors, deux contrebassons (l’instrument le plus grave) et pas moins de trente-six violons, quatorze altos, douze violoncelles, ou sept contrebasses. On sait qu’il jubila de cette puissance entre ses mains, lors de la première qu’il dirigea en décembre 1813 – à Vienne. L’inspiration de cette grandeur constitue notre deuxième axe : tel Hockney qui renforce ses couleurs en devenant sourd, Ludwig cherche à tous crins une sortie contre l’atroce silence de la maladie. Mais c’est aussi pendant les invasions françaises en Russie et l’occupation de l’Autriche qu’il sculpte cette œuvre pénétrée d’un sentiment patriotique – qui fut révélée le même soir que La Victoire de Wellington ; au profit des soldats blessés par Napoléon. Certains commentateurs voulurent y entendre des marches militaires ou des airs slaves, en signe de soutien à la résistance de tel ou tel peuple. Beethoven coupa court aux lectures trop directes : « Si les éclaircissements sont nécessaires, ils doivent se borner à la caractéristique des morceaux. » Quant au musicologue Stéphane Friédérich, il lit dans ce jaillissement exalté, une écriture affranchie de toutes les règles du passé. Dernier prisme : la lente maturation de cette Symphonie, ciselée bloc par bloc durant six ans. À rebours de Wolfgang, Ludwig avait besoin de méditer chaque mesure. Le célébrissime Allegretto fut illico réclamé en rappel, mais laissons Berlioz conclure : « Ce n’est pas que les trois autres parties soient moins dignes d’admiration ; loin de là. Mais le public ne jugeant d’ordinaire que par l’effet produit, et ne mesurant cet effet que sur le bruit des applaudissements, il s’en suit que le morceau le plus applaudi passe toujours pour le plus beau. »