19:30 Eglise de Rougemont
W.A. Mozart
Quatuor pour flûte et cordes n° 3 en do majeur K. Anh 171/285b
L. van Beethoven
Sérénade en ré majeur op. 25
W.A. Mozart
Quatuor pour flûte et cordes n° 1 en ré majeur K. 285
W.A. Mozart
Quatuor pour flûte et cordes n° 3 en do majeur K. Anh 171/285b
L. van Beethoven
Sérénade en ré majeur op. 25
W.A. Mozart
Quatuor pour flûte et cordes n° 1 en ré majeur K. 285
Mozart : Quatuor pour flûte et cordes n° 3 en do majeur
Beethoven : Sérénade en ré majeur op. 25
Mozart : Quatuor pour flûte et cordes n° 1 en ré majeur
L’histoire de la musique est traversée de légendes et de citations apocryphes. Le désamour supposé de Mozart pour la flûte oscille entre ces deux pôles. Plusieurs auteurs lui attribuent cette phrase, dont on a pourtant perdu la trace : Rien de plus faux qu’une flûte, si ce n’est deux flûtes ! Et dans une lettre du 14 février 1778 à son père, Wolfgang écrit en effet : Sitôt que je dois écrire pour un instrument que je ne puis souffrir [la flûte], je me sens anéanti. Au-delà des mots, examinons toutefois leur contexte : à cette époque, le musicien vient de quitter le cruel prince Colloredo à Salzbourg. Criblé de dettes, il cherche un poste en vain. Sa passion pour la cantatrice Aloysia Weber attise l’ire de son père. Et bien qu’il l’ignore encore, sa mère adorée mourra d’une fièvre subite à Paris – le 8 juillet 1778. Sillonnant l’Europe, Mozart n’a d’autre choix que d’accepter toutes les commandes reçues, dont celle du riche commerçant néerlandais Willem de Jong (ou Ferdinand De Jean), qui lui demande d’écrire des pièces « ni trop longues ni trop difficiles » pour son instrument fétiche, la flûte. Or c’est là que le torchon commence à brûler : d’une part, le premier concerto livré fut jugé trop ardu par son amateur de commanditaire, qui en fit, aux oreilles de son auteur, une vraie bouillie. D’autre part, sinon par conséquent, De Jean divisa de moitié les honoraires qu’il s’était engagé à verser. Chacun connaît l’expression : Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Wolfgang pourrait ajouter : Qui veut étrangler son financier accuse son instrument préféré.
Par surcroît, Mozart et son oreille absolue avaient sans doute raison d’affirmer que les flûtes sonnaient (un peu) faux… au XVIIIe siècle. Longtemps ciselés à partir d’une pièce de bois dont la tonalité ne pouvait être asbolument précise, surtout si l’on tenait l’accord dans le temps, ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que ces tubes à vent acquirent un corps de métal, grâce au système de clés inventé par Theobald Boehm, toujours en usage. Quant aux célèbres flûtistes de l’époque, ils étaient surtout solistes au sein d’orchestres – ce qui rendait leur tâche fort laborieuse. Dans les symphonies de Mozart, en l’espèce, les mêmes musiciens interprétaient les partitions des hautbois et des flûtes d’un mouvement à l’autre. Le hautboïste Bernard Meylan détaille à ce propos : « Pas facile de passer du hautbois à la flûte traversière et vice-versa : les lèvres sont tendues, le souffle devient court, surtout si le premier mouvement est généreux pour le hautbois, bref, la justesse devient un vrai problème. C’est très probablement une des raisons qui ont fait déclarer à Mozart que les flûtes jouaient faux. »
Un dernier point sur Mozart et la flûte ; un des rares instruments que le génie ne maîtrisait guère. Comme le répète Lacan, la vérité est toujours « mi-dite ». En d’autres termes : on peut se contredire à son insu. Car derrière les décrets à chaud, les œuvres parlent d’elles-mêmes : il paraît à ce titre impensable que le père de La Flûte enchantée, de sublimes quatuors pour cordes et flûte, ou du non moins sublime Concerto pour flûte et harpe, ait pu détester la flûte. À l’écoute des pièces qu’il lui a dédiées, parmi les plus gracieuses du répertoire de l’instrument, comment au demeurant ne pas tomber sous le charme de ce corpus si typique du langage mozartien, entre agilité, profondeur et constante maestria, où toutes les possibilités expressives du souffle semblent explorées ? Cela étant, pourquoi le cliché selon lequel Mozart n’aimait pas la flûte perdure-t-il ? Le flûtiste et chef d’orchestre Philippe Bernold fournit peut-être la solution de notre énigme, en changeant simplement de focale : moins qu’à l’homme, ladite prise de bec incomberait à l’époque qui lui succéda. Car selon lui, « ce n’est pas tant Mozart que le XIXe siècle qui, trouvant à la flûte un air d’Ancien Régime, l’a négligée au profit du violon, du piano, du cor, de la clarinette. À la différence des précédentes, l’ère romantique ne trouva guère à s’exprimer à travers la flûte, sauf au théâtre pour les visions éthérées, virginales, ou les scènes de folie désincarnées ».
Quant à Beethoven, son problème fut Mozart plutôt que la flûte… Si la rencontre entre les deux artistes – lorsque Ludwig avait seize ans, et après laquelle Wolfgang aurait lancé : « Un jour, on entendra parler de ce garçon dans le monde ! » – ne peut être certifiée, il ne fait aucun doute que le créateur des Noces était le musicien qu’admirait le plus l’auteur de La Lettre à Élise. Son paternel avait tout fait pour : découvrant les talents innés de l’enfant, son sens précoce du marketing l’avait résolu à transformer le jeune Beethoven en un Mozart bis, espérant qu’il fasse comme lui le tour des cours d’Europe. Ce qui n’arriva pas, malgré des dons évidents. À cet égard, le « vrai Beethoven » ne s’imposa qu’avec sa surdité, vers 1802, lorsque ce drame fit taire les voix tutélaires mais écrasantes de Haydn, de Mozart, et surtout de son père. Alors naîtrait la Troisième Symphonie, inaugurant le romantisme. Mais ce soir, nous voici donc en 1797, six ans après la mort de celui que Ludwig devait réincarner, lorsqu’il ébauche cette Sérénade qui doit tant à Mozart, par son hommage appuyé au style galant, ou sa façon de s’ouvrir et de se refermer sur un mouvement rapide. Mais qui présage également, si l’on prête l’oreille, les plus belles pages du Beethoven futur – du Beethoven devenu Beethoven.