Mardi 31 Janvier 2023

CHF 150 | 110 | 50 | 30.-

F. Schubert
Sonate Arpeggione D 821

P.I. Tchaïkovski
Souvenir de Florence op. 70

Sous le patronage de

Présentation de concert

Schubert
Sonate Arpeggione D. 821
Il y a les choses qui passent et celles qui durent. Contractée en 1823, la syphilis de Schubert ne passera pas – elle aura même raison de sa vie. L’arpeggione qui naquit la même année, fusion du violoncelle par sa forme, et de la guitare pour ses six cordes et ses frettes (ces anneaux de métal enserrant le manche), disparaîtra aussi bientôt. Le luthier Stauffer ne verra son invention honorée qu’une dizaine d’années : l’absence de pique, qui obligeait l’interprète à maintenir l’arpeggione entre les genoux, et ses six cordes malaisées à frotter pour un archet, ne lui permirent pas d’intégrer la grande famille orchestrale. Mais la sonate que lui destina le musicien contaminé, quant à elle, s’inscrira dans les siècles.

Publiée à titre posthume en 1871, elle est d’office proposée dans une transcription pour violoncelle, mais fut jouée par des guitaristes, des altistes, ou même des clarinettistes. Du fait de l’aspect expérimental de l’instrument « cible », Schubert écarte la solennelle forme en quatre mouvements, lui préférant la liberté d’une pyramide à trois étages. Comme un clin d’œil au concerto, genre qu’il n’a pas abordé. Mais dès l’ouverture de l’Allegro, le lyrisme du génie romantique s’élève tel un oxygène d’évidence. On ne répétera jamais assez que certains artistes, plutôt que de les inventer, cueillentdes mélodies roulées dans nos cœurs depuis toujours. Le second motif distinctif – une rafale de seize notes – est souvent assorti des mentions piano ou pianissimo, étant donné que l’arpeggione pouvait difficilement associer vitesse et volume. Selon le musicologue Rémy Campos, de la passion tangible à la virtuosité des effets réclamés à la voix chantante, le compositeur semble avoir voulu offrir un panorama des couleurs et des possibilités techniques de l’instrument.

L’Adagio qui vient troque le discours contre la nostalgie. Mais la vie demeure grâce à la respiration : dès la première mesure tout y halète, souffle, expire tendrement. Cette cantilène a quelque chose d’un air de gondolier. Vienne, après tout, n’est pas si éloignée de Venise… S’éteignant en volute de cigarette, la fin du mouvement s’entretisse au début de l’Allegretto conclusif. Après cette méditation, le corps se redresse, paraissant traverser une journée semée de multiples étapes : ayant dansé un rondeau inopiné avec quelque demoiselle, s’étant couché sur l’herbe pour contempler les nuages, ayant chassé quelques papillons-pizzicati, l’interprète court s’abriter lorsque l’orage éclate. On imagine la joie teintée de douleur sur le visage de Schubert lorsqu’il inaugura cette pièce au piano chez son ami Schuster, guitariste d’exception et bref héraut de l’arpeggione, pour qui il l’avait écrite.

Tchaïkovski
Souvenir de Florence op. 70
Dominique Fernandez relatait récemment dans Artpassions  la relation romanesque qui unit Tchaïkovski à sa mécène Nadejda von Meck. Car cette femme s’éprit de la musique de son compatriote, mais résolut de ne jamais le rencontrer afin que le charme n’opère que par le truchement de l’art. Cela étant, la mécène et l’artiste devinrent amis, fréquentant les mêmes lieux aux mêmes moments, mais pas dans les mêmes maisons. Ainsi en fut-il de Florence, où la baronne invita son obligé en juin 1890, lui envoyant « chaque matin un domestique pour l’informer de l’itinéraire qu’elle envisageait de suivre, raconte Fernandez, et les musées qu’elle avait l’intention de visiter, afin qu’il évitât de se trouver sur son passage ».

Si l’on ignore où se promena Tchaïkovski dans la capitale toscane, force est de constater que c’est l’esprit slave qui domine ses Souvenirs, et ce dès la première note. Ce qu’il puise dans Florence n’est peut-être que le fameux syndrome baptisé par Stendhal : ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. Passion – c’est le mot, dès l’Allegro qui explose telle une démonstration de kalinka, cette danse où l’on s’accroupit et se relève à toute vitesse en donnant des coups de pied… Mais c’est aussi la période où le compositeur sculpta sa Dame de pique, et indéniablement le monde de l’opéra exsude-t-il de cette scène garnie de créatures banales ou féeriques, portée par un chœur aux infinis soubresauts. L’Adagio cantabile peint, pour Fernandez, la réminiscence d’une liaison du musicien avec un garçon des rues : dans le dialogue entre le violoncelle et le violon, note l’Académicien, entre la voix grave et la voix aiguë, fait de pizzicati et de longues phrases enroulées, s’exprime tout le pathétique érotique qu’avait pu susciter le bref moment d’extase entre un homme mûr et un adolescent. En réaction, le troisième mouvement s’avère pétri d’angoisse : après le plaisir, la culpabilité ? Mais la mélancolie n’est jamais vraiment soluble dans la Russie… Tchaïkovski était très fier de son finale, véritable tour de force contrapuntique aux accents de Lac des Cygnes : « Quelle fugue magistrale à la fin! Un vrai bonheur ! » écrit-il à son frère en achevant son œuvre. Non sans avoir, deux ans durant, déploré l’épreuve d’une forme à six voix indépendantes mais semblables. Quel labyrinthe en effet. Mais quel sommet !

Le même jour