19:30 Eglise de Saanen
F. Mendelssohn
Concerto pour violon n° 2 en mi-mineur op. 64
J. Brahms
Sérénade n° 1 en ré majeur op. 11
F. Mendelssohn
Concerto pour violon n° 2 en mi-mineur op. 64
J. Brahms
Sérénade n° 1 en ré majeur op. 11
Mendelssohn: Concerto pour violon n° 2 en mi mineur
À l’instar du rock, le violon a ses tubes. Si ce Concerto attira les plus grands solistes, c’est d’abord pour son lyrisme sans pareil. Mais avant d’évoquer l’œuvre, un brin d’histoire : en 1838, directeur musical à Leipzig, Mendelssohn écrit à son ami d’enfance Ferdinand David, violoniste acclamé : J’aimerais t’offrir un concerto pour l’hiver. Un air en mi mineur m’obnubile, sans me laisser de répit. Or ladite obnubilation occupera six ans son auteur, d’habitude si hâtif – signe de l’importance qu’elle revêtait à ses yeux. Ce sera d’ailleurs son ultime pièce orchestrale, avant sa mort prématurée, en 1847. En étrange présage, l’artiste soumit au jugement de son interprète ses passages les plus exigeants, comme pour que cet aval grave ses notes dans le marbre, et le protège d’avance du reproche d’avoir marié l’aplomb allemand à la romance d’un cœur léger. Sinon la tradition aryenne aux chants juifs ? Car de fait, bien qu’il ne puisse anticiper la campagne raciste que mènera Wagner à son encontre, qui aboutira à l’interdiction de sa musique par Goebbels, le judaïsme s’avère partie prenante du destin de Mendelssohn. Converti au protestantisme par son père Abraham, qui s’alarmait de l’antisémitisme ambiant (bien que le mot n’existât pas), l’étudiant refusa de troquer son patronyme contre celui de « Bartholdy » ; qu’il imprima quand même sur sa carte de visite afin d’apaiser sa famille.
Au demeurant, pour revenir à notre Concerto, on a souvent noté que le soliste entrait dans le feu de l’action dès la deuxième mesure, évinçant l’usuelle exposition d’orchestre… Mais outre que Mozart et Beethoven ont déjà ouvert la voie, voyons plutôt dans ce magistral incipit l’hommage pulsionnel de Mendelssohn au nom qu’on a failli lui arracher, soit à la plus vibrante des danses slaves ; à une époque où les pogroms contre les Ashkénazes se multipliaient. Tout le premier mouvement oscillera entre des élans fous, gagnant en intensité à mesure que la musique avance, et des sanglots aux accents éplorés, mais quasi mozartiens – donc foncièrement rêveurs et optimistes. Sans oublier ces haltes techniques virtuoses dignes des Trilles du diable de Tartini, et d’une façon, de la Chaconne de Bach. Le discret sifflement du basson extirpe de l’éblouissante coda un fil de laine conduisant au mouvement lent…
Une cantilène est un poème lyrique aux harmonies douces : quel meilleur terme pour désigner le chant du violon dans l’Andante ? À condition d’y adjoindre une brume aussi gracieuse que les valses de Strauss (l’Autrichien), réduite par Mendelssohn au statut de simple décor, et une richesse orchestrale dont, sans vergogne, Wagner se nourrira. Voyons enfin dans cette partie le don pour les arts plastiques de l’auteur, qui peint en musique cent paysages escarpés ou pastoraux, aux nuances infinies.
Le finale délite le motif initial pour le réinventer, le recomposer, comme si la vie était passée à travers la fougue, la raisonnant. Mais le scherzo s’impose néanmoins sans timidité, caractéristique de Mendelssohn : enlevé, jovial, irrésistible. Plein de verdeur – pour un homme sur le point de s’éteindre à trente-huit ans.
Brahms: Sérénade n° 1 en ré majeur
Un artiste peut avoir reçu tout le talent du monde : il lui faut aussi la confiance. Brahms n’a que vingt-quatre ans lorsqu’il façonne cette Sérénade, et se trouve au service d’une cour de province, chez le prince Leopold III de Lippe. Son service offre l’espace d’écrire : il n’est réquisitionné, en durée réelle, que trois mois sur l’année, pour enseigner le piano à la princesse, donner quelques concerts et diriger la chorale. Le reste du temps – dès 1857 –, il entame notamment cette pièce dotée au départ de quatre mouvements, et destinée à un ensemble de neuf instruments dans un style XVIIIe siècle. Mais l’artiste s’avoue insatisfait de ce premier jet, aujourd’hui égaré, et jugé par lui « bâtard ». Or c’est ici, sur le point d’abandonner, que la confiance change tout, quand ses amis Josef Joachim et Clara Schumann l’incitent à transformer sa partition… en symphonie. Comme s’ils avaient senti que leur protégé rêvait de grandeur sans se l’autoriser. L’œuvre finale augmentée de deux sections, et datée de 1860, s’avère la première pièce orchestrale de Brahms. Et ressemble moins à une « mélopée se donnant la nuit sous les fenêtre d’une femme aimée » (la définition d’une sérénade), qu’à une symphonie cachée. Se fondant sur des témoignages, les historiens lui assortirent de multiples influences. Combien il aimait les grands maîtres et comme il jouait Haydn et Mozart !, notera en effet le violoncelliste Schmidt, au service alors de la même cour. Mais loin de pasticher un quelconque style galant, Johannes emprunte surtout au Wolfgang des Sérénades leur nombre élevé de mouvements et l’idée d’une composition hybride, à la frontière de plusieurs formes, de plusieurs genres. Pour le reste, un son typiquement brahmsien se décline : à la fois fougueux, romantique, gracieux ; et sylvestre. Accueillie en triomphe, l’œuvre sera reçue comme une pièce d’avant-garde. Mais il faudra attendre encore vingt ans pour que Brahms, inhibé par l’ombre de Beethoven, publie sa première vraie Symphonie. L’art est difficile – et lent.