Lundi 30 janvier 2023

CHF 50 | 30.-

R. Schumann
Gedichte der Königin María Stuart op. 135 (5 Lieder) ;
Schöne Fremde op. 39 n° 6 ; Mondnacht op. 39 n° 5 ; Frühlingsnacht op. 39 n° 12 Fantasiestücke op. 73 n° 1 ; Märchenbilder op. 113 n° 3

J. Brahms
Dein blaues Auge op. 59 n° 8 ;
Liebestreu op. 3 n° 1 ; Nachtigall op. 97 n° 1 ; Nicht mehr zu dir zu gehen op. 32 n° 2; Die Mainacht op. 43 n° 2
Zwei Gesänge op. 91
Der Jäger op. 95 n° 4 ; Der Gang zum Liebchen op. 48 n° 1 ; Immer leiser wird mein Schlummer op. 105 n° 2 ; Meine Liebe ist grün op. 63 n° 5

Sous le patronage de

Présentation de concert

Schumann
Gedichte der Königin Maria Stuart op. 135 (5 Lieder)
On sait combien le destin de Marie Stuart, reine catholique d’une nation protestante, anima les artistes friands de dramaturgie. Schumann, quant à lui, ne se focalise ni sur les intrigues de cour ni sur les évasions rocambolesques, mais sur la tragédie d’une femme attendant son exécution, rédigeant ces poèmes – qui lui sont réellement attribués. Une intériorité qui répond au désarroi d’un musicien que la dépression et les acouphènes dévorent peu avant sa mort. Ces adieux au monde, datés de 1852, constituent les dernières œuvres pour voix seule publiées de son vivant. Leur minimalisme puise sans doute ses sources sans les lieder testamentaires de Schubert.

Liederkreis : Mondnacht n°5, Schöne Fremde n°6, , Frühlingsnacht n°12
Mais avant la mort il y a la vie : nés durant la si fertile année 1840, surnommée Liederjahr (l’an des lieder) par les biographes de Schumann, le Liederkreis abonde de lumière et de couleurs. Le Voyage d’hiver de son modèle n’a pas commencé : le compositeur peut encore louer la grâce des éléments, les prés fleuris, les pépiements des oiseaux. Sous sa plume, chant et piano n’ont jamais conversé avec tant de sophistication, dans la peinture des paysages, des émotions. L’auteur décrira cette pièce comme la plus romantique qu’il ait jamais livrée.

Fantasiestücke op. 73 n°1
Halte instrumentale – avec cette partition écrite pour piano et clarinette mais dont son créateur a indiqué que le clavier pouvait aussi danser avec un alto ou un violoncelle. Nous disons bien danser, tant la mélodie incarne les fantaisies mouvantes de l’imagination, les volutes d’une âme transie. La nostalgie est parfois une caresse : Schumann incite ses interprètes à faire preuve de délicatesse et d’expressivité.

Märchenbilder op. 113 n°3
Pour finir avec cette paire d’instruments : le saisissant troisième segment d’un périple du côté des contes de fées, façonné par l’artiste en 1851. Fermons les yeux à l’écoute de cette cavalcade effrénée, où la rugosité des cordes évoque le crin du cheval au galop, pour plonger dans une forêt des frères Grimm. Par leur liberté formelle et leur envoûtante intensité, les Märchenbilder sont à l’altiste ce que la Chaconne de Bach est au violoniste : un passage – un trésor – obligé. 

Brahms
Dein blaues Auge op. 59 n°8
Tel un signe, passons à la suite sans quitter Schumann – du moins sa femme, car au creux de cette romance la main gauche du pianiste susurre le fameux « thème de Clara », dont chacun savait le talent de musicienne… et les magnifiques yeux. Ceux-là sont donc bleus, et semblent détenir un pouvoir thaumaturgique. En deux minutes, Brahms sculpte le paradoxe que cela est de se perdre dans la contemplation d’un objet de beauté… qui peut aussi vous contempler.

Liebestreu op. 3 n°1, Nachtigall op. 97 n°1, Nicht mehr zu dir zu gehen op. 32 n°2, Die Mainacht op. 43 n°2, Zwei Gesänge op. 91, Der Jäger op. 95 n°4, Der Gang zum Liebchen op. 48 n°1, Immer leiser wird mein Schlummer op. 105 n° 2, Meine Liebe ist grün op. 63 n°5
Concluons ce programme en sinuant d’une époque, d’une nuance à l’autre. Si le cycle Liebestreu fut le premier publié par Brahms, il attestait déjà, dans ses défiants échos wagnériens, une inventivité vocale rare. Face à l’amour perdu, le discours musical y accomplit l’exploit de réconforter autant que de traduire la fatalité. Avec humour, la valse Der Jäger, brosse le portrait d’un chasseur de filles, plutôt que de gibier. Conservant cette ironie, et la cadence d’un clavier trépidant, Der Gang zum Liebchen mêle à la joie de revoir sa dulcinée… le chagrin de sa fin proche. Une équivoque conforme au thème de Nachtigall, où le chant d’un rossignol réveille à l’unisson bonheur et douleur. Immer leiser wird mein Schlummer réduit au minimum ses effets – pour amalgamer ces sentiments contraires. Nicht mehr zu dir zu gehen ne se détourne pas de la terrible ambiguïté : un cœur éconduit supplie un cœur chéri, avec des accents quasi haineux, de l’envoyer vers la mort ou bien vers la vie. Mais la Nature intervient pour soulager les affres des soupirants : une lune d’argent, des colombes tempèrent notre Werther. Comme si la vie de Brahms avait toujours oscillé entre ces deux pôles romantiques : l’angoisse de l’amour et le pansement de la beauté. Meine Liebe ist grün ne dit pas autre chose : la verdeur s’éteint vite, cependant son ivresse demeure à tout âge un expédient.

Et entre tous ces duos piano-voix, deux extraordinaires trios ciselés pour Joseph Joachim où l’alto (instrument à cordes favori de Brahms) s’invite en tiers conciliateur. Car si Geistliches Wiegenlied fut offert comme cadeau de noces au violoniste et à son épouse, la seconde partition fut remise vingt ans après au même couple dans la tourmente, tentative désespérée de sauver cette union en psalmodiant un désir toujours satisfait. Sans faire l’impasse sur les cahots de tout mariage, la partition qui s’achève sur l’harmonie voulue ne parvint pas à prévenir la déchirure. Serge Daney écrit qu’un cinéphile est quelqu’un qui attend trop du cinéma. Un génie musical est-il quelqu’un qui attend trop de la musique ? 

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